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Le taux de reproduction, noté R, donne le nombre de personnes infectées par une personne contaminée. Nous l’avons abordé lors des articles précédents, et notamment sur le premier, portant sur la dynamique récente de l’épidémie.

Par contre, nous n’avons pas parlé d’un autre indicateur épidémiologique, le R0.

Quel est cet autre indicateur ? On dit généralement que c’est « le taux de reproduction au début de l’épidémie ». Dit comme ça, on ne saisit pas forcément à quoi il correspond. Il faut donc le contextualiser. Au début d’une épidémie, surtout une nouvelle épidémie de ce type, les gens se comportent « normalement », dans le sens où ils ne sont pas conscients que le virus circule parmi eux et qu’il peut les rendre malades. Par conséquent, le virus va pouvoir « profiter » des interactions sociales usuelle de la population, et contaminer beaucoup plus facilement. Lorsque la population prend conscience de la présence du virus, elle va changer son comportement et adopter des mesures barrières, sans forcément attendre même des mesures gouvernementales. Par conséquent, le taux de reproduction va baisser et ne plus atteindre celui qu’il était au début. Le R0 représente donc le taux de reproduction à l’initiation de l’épidémie, mais il représente surtout le taux maximal, qui aura lieu lorsque la population a ses interactions sociales usuelles.

Il faut être par contre un peu plus précis. On a vu dans les articles précédents que les virus peuvent souvent être plus actifs lors des saisons froides, lorsque les gens vivent en milieu clos et peu aéré. Si le virus se met à circuler en plein été, il circulera moins qu’en hiver. Si on veut donc être plus précis, il faut donc plutôt dire que le R0 est le taux de reproduction maximal, que l’on constaterait dans une population donnée lors de la saison où il circule le plus.

Tout l’enjeu va alors être de baisser ce taux le plus possible afin de le ramener vers 1, et surtout le rendre inférieur à 1 pour qu’il s’éteigne.

Le R0 peut par contre être également vu dans sa construction « comportementale ». Il ne sort pas de nulle part et n’est pas qu’un simple calcul tiré de la constatation d’un début d’épidémie. Il correspond à une réelle dynamique de contagion d’une personne vers d'autres. Comment peut-on le décomposer ?

Il peut être décomposé en un produit de trois facteurs : R0 = ß x c x D. 

  • ß = la probabilité de contracter le virus lors d'un contact,
  • c = le nombre de contacts sur une unité de temps,
  • D = le nombre de jours où une personne infectée est contagieuse

Un petit exemple pour illustrer : si une personne est contagieuse durant 3 jours (D = 3) et croise en moyenne 9,7 personnes différentes chaque jour, il va croiser en tout 9,7 x 3 = 29 personnes. Si la probabilité d’infecter les personnes croisées est de 0,345, il va alors infecter 29 x 0,0345 = 10 personnes. Le R0 vaut donc 10.

On va, pour les besoins des explications, l’illustrer avec des petits bonshommes. Le petit bonhomme rouge est le contagieux de service, et il va se retrouver à croiser ses 29 petits camarades.

Tout, vous saurez tout sur le R0

A la fin de sa période de contagion, il aura contaminé 10 personnes qui deviennent vertes pour les besoins de l’illustration.

Tout, vous saurez tout sur le R0

Maintenant, imaginons que je dispose de deux baguettes magiques : dans ma main gauche, une baguette qui permet de remonter le temps avant le début des contaminations. Dans ma main droite, une baguette qui va immuniser certaines personnes et donc les rendre « incontaminables ».

Essayons pour voir, je reviens dans le temps et j’immunise 15 personnes, que je rends bleues, soit 15/29 = 52% de la population.

Tout, vous saurez tout sur le R0

Que va-t-il se passer ? Ces personnes ne pouvant pas être contaminées, ça va faire « comme si » elles n’étaient pas là et n’étaient pas croisées par la personne contaminante. On peut donc les faire disparaître de notre petit schéma, car ça va revenir au même au niveau de la dynamique de contamination. Il reste donc 29 – 15 = 29 – 52% x 29 = (1 – 52%) x 29 = 14 personnes à contaminer.

Tout, vous saurez tout sur le R0

Du coup, que va-t-il se passer ? Il ne vas plus y avoir 0,345 x 29 = 10 personnes contaminées, mais 0,345 x 14 = 4,83 personnes, soit 5 personnes. Voici le schéma avec les personnes vertes.

Tout, vous saurez tout sur le R0

Voici le tableau final en remettant les petits bonshommes bleus.

Tout, vous saurez tout sur le R0

Que voit-on ? Que seules 5 personnes ont été contaminées au lieu de 10. Le taux de reproduction va donc être abaissé à 5 au lieu de 10. Notons R0’ ce taux de contamination. Il vaut R0’ = 5. Ce R0’ est relié au R0 par R0’ = 0,345 x 14 = 0,345 x (1 – 52%) x 29 = 0,345 x 29 x (1 – 52%) = R0 x (1 – 52%).

Le lien entre le R0’, R0 et le taux d’immunisation (noté x) est donc le suivant : R0’ = R0 x (1 -x). En fait on a agi sur la variable « nombre de personnes contact sur la durée de contagiosité » en faisant « comme si » ces personnes étaient moins nombreuses, qu’on les diminuait d’une fraction x.

Une fois que tout ceci est fait, je suis pris de remords. En effet, je me rends compte que si j’avais immunisé plus de personnes, j’aurais pu freiner bien plus l’épidémie. Je veux donc reprendre le processus, mais avant de repartir dans le passé, je vais réfléchir : Quelle proportion de la population de bonshommes devrais-je immuniser pour que l’épidémie ne se déclare pas ? Il faudrait que ce R0’ que j’ai obtenu soit inférieur à 1, donc que R0 x (1 – x) < 1.

Attention, petits rappels des règles de calcul, on obtient :

1 – x < 1 / R0

Donc – x < 1 / R0 – 1

Et au final x > 1 – 1 / R0

Cela donne x > 1 – 1 / 10, donc x > 0,9 = 90%

Si j’immunise plus de 90% de la population, un seul individu ne contaminera pas plus d’une personne. Illustration avec nos petits bonshommes en retournant dans le passé. J’immunise donc 29 x 90% = 26,1, soit 26 personnes.

Tout, vous saurez tout sur le R0

Il reste donc 3 personnes à contaminer.

Avec la probabilité de contaminer de 0,345, cela donne 0,345 x 26 = 1,035, soit une personne.

Tout, vous saurez tout sur le R0

Avec tous nos petits bonshommes.

Tout, vous saurez tout sur le R0

Gagné ! Je suis très fier de moi, car j’ai trouvé une solution pour faire en sorte que l’épidémie ne puisse pas se déclarer. En vérité je n’ai rien trouvé, je viens de vous décrire avec des petits bonshommes le raisonnement qu’ont appliqué les britanniques Kermack & McKendrick en 1927 pour calculer le taux de couverture immunitaire d’une population afin de créer une immunité de groupe.

Et ça c’est très important à comprendre : lorsque on immunise une population avec un vaccin, l’idée n’est pas de vacciner tout le monde, et si quelques personnes ne sont pas vaccinées, ça ne les met pas pour autant en danger. La couverture immunitaire vise à ramener le taux de reproduction en dessous de 1, et donc à empêcher une épidémie de se déclarer. Plus un virus est contagieux, et plus il faut immuniser un nombre important de personnes pour « désactiver » les personnes susceptibles d’être contaminées, et donc baisser le facteur c x D dans le modèle décrit ci-dessus.

Ce qu’il faut bien comprendre aussi, c’est que le R0 n’est pas fixe et immuable, il va dépendre des sociétés dans lesquelles il se répand. S’il se répand dans une société très dense et où les gens interagissent beaucoup, le facteur c x D sera plus important. Si les gens ont tendance à se faire la bise ou des « hugs » à l’américaine, la probabilité de contracter le virus lors d’un contact (ß) sera plus élevée que dans une société japonaise où on se fait des « konichiwa » à tout va en s’inclinant à 2 mètres de distance.

Par conséquent, ce R0 ne sera pas la même selon le pays ou la zone étudiée.

Le taux de couverture immunitaire pour atteindre l’immunité de groupe est donc le taux de couverture immunitaire permettant dans une société où les interactions sociales se déroulent de manière usuelle de ne pas voir se propager l’épidémie. Donc dans le cas de la France, dans une société où on se serre la main, on se fait la bise, on touche la barre du métro sans se laver les mains derrière, bref, la vie d’avant, quoi…

Il faut aussi comprendre que cette couverture immunitaire doit être assez également répartie sur le territoire. Si le taux d’immunité de groupe est de 30% mais qu’on n’immunise que les 30% des gens qui vivent le plus au sud, les 70% qui vivent au nord de ces gens là auront tout loisir de voir se développer l’épidémie.

Qu’en est-il de notre cher COVID-19 ? Il y a eu plusieurs études à ce sujet, dans divers pays. En Chine, le R0 a été estimé entre 2 et 5. Un calcul postérieur sur la région de Wuhan a donné un R0 de l’ordre de 5,7 [1].

En France, le R0 a été estimé entre 2,5 et 3,8 par le laboratoire ETE de l’université de Montpellier [2].

Par conséquent, quelle doit être la couverture immunitaire pour atteindre l’immunité de groupe en France (qu’elle soit atteinte par un vaccin ou par l’immunité des gens ayant contracté le virus) ?

Il suffit d’appliquer la formule x = 1 – 1 / R0

Cela donne 0,60 (60%) avec un R0 de 2,5 et 0,74 (74%) pour un R0 de 3,8.

Où en sommes-nous ? Difficile de le savoir car nous n’avons pas testé l’ensemble de la population. Nous pouvons déjà faire une brève approche en termes d’ordre de grandeur. Le taux de mortalité du virus est estimé entre 0,5% et 1%, avec une valeur retenue de 0,6% [3]. Il y a eu 30 999 décès en France, donc le nombre d’infectés a été a priori de 30 999 / 0,006 = 5 166 500. Donc 5 166 500 – 30 999 = 5 135 501 personnes vivantes ayant a priori développé une immunité.

Comme nous sommes 66 990 000 personnes en France, cela donne un taux de 5 135 501 / 66 990 000 = 7,7%

L’institut Pasteur a donné fin avril une estimation de 6% de personnes ayant été infectées[4], donc ce chiffre de 7,7% après des infections nettement ralenties depuis n’est donc pas totalement idiot.

Par conséquent, deux choses :

  • Nous sommes loin du taux de 60%-74% nécessaire pour l’immunité collective
  • Nous avons gagné, par rapport au début de l’épidémie, un « effet naturel » de la baisse du taux de reproduction du virus

En effet, le raisonnement effectué sur le R0 reste valable plus généralement pour le R. Le R n’est rien d’autre que le taux de reproduction du virus avec des comportements sociaux ou des agissements médicaux qui baissent les différents facteurs qui le composent. Le R a été ramené à une valeur de 0,7-1,4 en agissant principalement sur c (nombre de contacts sur un unité de temps, surtout au moment du confinement) et sur ß (probabilité de contracter le virus lors d’un contact, avec les gestes barrière, les masques et d’autres mesures comme les tables en extérieur pour les restaurants afin de diminuer la concentration virale dans l’air inhalé).

Ce taux d’immunité va donc « désactiver » 7,7% de la population française, et donc diminuer le R d’un facteur 1 – 0,077 = 0,923. Au lieu d’être à environ 1,4 en ce moment, le R aurait donc été à 1,4 / 0,923 = 1,52 sans cet effet immunitaire. Ce gain n’est pas à jeter à la poubelle, vu les évolutions exponentielles décrites dans les articles précédents.

Mais il n’est pas suffisant. Donc en attendant de s’être débarrassés de ce maudit virus, gardons les mesures barrière essentielles qui nous permettrons d’aborder l’avenir sereinement : distance sociale, port du masque en lieu clos, lavage de mains régulier.

On va y arriver !

 

[1] https://wwwnc.cdc.gov/eid/article/26/7/20-0282_article

[2] http://covid-ete.ouvaton.org/Report1_R0_France.html

[3] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.03.05.20031773v2 ; https://osf.io/wdbpe/

[4] https://hal-pasteur.archives-ouvertes.fr/pasteur-02548181/document

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